Quand la TV s'intéresse (de loin) à la transidentité / Focus sur le documentaire français « Être
- Anthony Deléglise
- 20 janv. 2019
- 15 min de lecture
Aujourd’hui, les médias de masse – mass media – jouent un rôle important dans leur diffusion d’informations sur la réception de sujets méconnus de la population. Étant destinés à un large public, détenus par de grands groupes industriels liés au pouvoir politique, et investis par des journalistes, de nombreux sujets sont en vogue. Leur but : faire un maximum d’audience, grâce à la distraction, à l’aspect original, inconnu et mélodramatique des sujets mobilisés. Pour cela, les chaines de télévision diffusent des reportages, des documentaires, qui suscitent chez le spectateur des émotions fortes, comme le désarroi, la surprise ou le dégoût, dans le sens où lesdits reportages se consacrent à des portions de population jugés minoritaires. Les médias montrent au grand public ce qu’est l’Autre. C’est le cas des documentaires sur les personnes transgenre. C’est en tapant dans la barre de recherche Google « Documentaires personnes transgenre » que l’on se rend compte que le sujet est récemment investi en France. Datant aux alentours de 2015, les premiers essais médiatiques sur la transidentité sont diffusés sur des émissions de témoignages, permettant la parole aux personnes concernées. A partir de 2016, des documentaires entiers se consacrent aux personnes transgenre : par exemple, en 2016, un documentaire intitulé Trans, c’est mon genre, réalisé Eric Guéret, permet la parole à des personnes qui témoignent de la transphobie subie, sur un même fond composé de miroir ; en 2017, un autre documentaire, diffusé sur Arte, et intitulé Devenir il ou elle se focalise sur de jeunes personnes transgenre, leur parcours médical, et leur relation avec leur famille.
Le documentaire sur lequel je m’appuie date de 2017, se nomme « Fille ou garçon : le dilemme des transgenres ». Semblant être identique aux autres reportages sur le sujet, il donne également la parole aux personnes, mais contrairement à la plupart des autres documentaires, celui-ci s’est vu être relayé par bon nombre d’articles de presse, et avoir une part d’audience remarquable, avec près de 3 000 000 de téléspectateurs – soit 12 % du public. On peut expliquer ceci par le fait qu’il a été diffusé durant une heure de grande écoute (le dimanche 12 Novembre 2017, à 21 heures), sur une grande chaine privée (M6). Également accessible en replay via le site 6play.fr, ou sur la plateforme YouTube, il a permis à plusieurs personnes transgenre de se mobiliser, revendiquer, critiquer de manière positive ou négative. Ainsi, j’ai souhaité m’appuyer sur ce documentaire pour comprendre l’engouement de la presse à ce sujet, mais également comprendre comment la transidentité est représentée par les médias ces dernières années. Plus que d’analyser le documentaire, c’est aussi analyser sa réception. Plus exactement, comment se racontent les personnes transgenre et ce que cela induit sur leur représentation médiatique, la production d’un récit, et une vision plus standardisée de la transidentité. A la suite de cette réflexion, une problématique peut être soulevée : Comment, à travers le message véhiculé, cela participe d’une dépathologisation, et une plus grande visibilité des personnes transgenre en France ? avec en question sous-jacente : Quelle représentation des personnes transgenre donne à voir ce documentaire ?
Pour ce faire, c’est en analysant le discours évoqué par la journaliste, les personnes interviewées, les manières de filmer, mais également à l’aide de lectures scientifiques en lien avec la transidentité, qu’une analyse globale peut se dégager et délivrer une représentation des personnes transgenre. Ainsi, dans une première partie, nous verrons comment le documentaire tente de banaliser la transidentité à travers différents moyens ; dans une seconde partie, nous observerons comment sont utilisés les stéréotypes de genre ; dans une troisième partie, nous étudierons les différents procédés qui tendent à rassurer un public cible, et enfin, dans une dernière partie, nous constaterons comment le numérique permet d’émanciper les personnes transgenre.
I. La banalisation de la transidentité comme moyen d’apaisement pour un public cible
« De Rennes (Ille-et-Vilaine) à Paris en passant par Coulommiers (Seine-et-Marne) et Bordeaux (Gironde), rencontre avec des personnes transgenres au cours de leur transition. Isaac, 14 ans, est née fille mais s'est toujours sentie mal dans son corps. Comment ses parents le soutiennent-ils ? Laura, 24 ans, fait, quant à elle, une transition de garçon à fille et décrit son parcours sur YouTube. Cédric, 18 ans, souhaite quitter son corps féminin mais sa décision ne sera pas sans conséquences. Iris, 21 ans, veut aller jusqu'au bout pour se sentir en harmonie avec son corps. Jackie, 60 ans, était un homme marié avant de devenir une femme divorcée. » : tel est le résumé du documentaire. En le lisant, un constat de prime abord se fait : la journaliste Clarisse Verrier, réalisatrice de ce documentaire décide d’interroger six personnes à travers la France, et pour la majorité, de jeunes personnes transgenre. Globalement, elle s’intéresse à la vie générale des personnes transgenre pour comprendre leur quotidien, leur procédure dans le changement de sexe ou les relations familiales, et aborde de manière légère le domaine médical, et l’avis des experts professionnels sur le sujet. Elle est réalisatrice de documentaires et de reportages sur plusieurs sujets de société, qui s’intéresse à différents milieux comme la mode, ou la maternité, des milieux liés à la féminité, qui travaille pour les chaînes Paris Première et Téva (groupe M6) ainsi que M6 (Zone Interdite) ou CANAL+ avec FASHION NEXT, et ce documentaire est le dernier qu’elle a produit. Elle explique son choix de programme ainsi : « (…) Je n’avais aucune connaissance sur le sujet, mais ça m’intéressait beaucoup. C’était un défi personnel car Zone Interdite pose une contrainte, celle du grand public. Mon idée, c’était de transmettre des idées sans avoir de discours militant, car ça complique quand on s’adresse au plus grand nombre. (…) Ici, je voulais faire comprendre que c’est le regard social qui crée de la souffrance pour les personnes trans. ». Ainsi, elle se concentre sur la vie de Laura, Isaac, Cédric, Iris, et Jackie durant le temps d’un documentaire, avec une certaine limite de par sa diffusion sur une chaine privée, ce qui peut se faire ressentir dans le discours, la manière de filmer les protagonistes, mais aussi expliquer les critiques à l’encontre du travail fourni jugé parfois biaisé par les youtubeurs transgenre.
Quatre jeunes adultes, et une personne âgée, la transidentité est d’abord perçue comme un sujet juvénile, décrit comme telle par la journaliste en voix-off en introduction, durant la première séquence de transition : « 15 000 personnes transgenre en France, et parmi elles, de plus en plus de jeunes : des enfants et des adolescents qui expriment le besoin de changer de genre. De fille à garçon ou de garçon à fille. » (6 :46). Parmi les personnes interrogées et suivies, trois femmes transgenre, et deux hommes – un adolescent et un jeune homme – transgenre : on assiste à une première représentation de genre calquée sur les personnes transgenre, et une infantilisation des hommes transgenre, dénoncée par la sociologue Karine Espineira : « C’est un progrès de voir des hommes trans, car ils étaient complètement absents du paysage au moins jusque dans les années 90. C’est très bien qu’il y ait des jeunes gens représentés, mais il ne faudrait pas donner le sentiment qu’il n’existerait pas d’hommes trans après la puberté. » Cette invisibilisation est encore plus pregnante quand on constate que la première personne interrogée mais non suivie durant le documentaire est un homme transgenre, adulte. Pourtant, Arnaud, père de famille accompli, et policier, est présenté comme une personne sereine, heureuse, et sans faille. A travers son récit, où on le montre dans son domicile familial, il explique qu’il a très bien été accueilli et accepté au sein de son environnement de travail, évoque la procréation assistée qu’ils ont entrepris avec sa compagne, et les difficultés pour son père de le reconnaitre en tant que fils. Durant cette séquence, plusieurs plans nous font comprendre qu’il s’agit désormais bien d’un homme que la journaliste interroge, que cela correspond à une vision hétéronormée qui rassure un public cisgenre : la vision d’un couple hétérosexuel, un homme, une femme, et un enfant, expliqué par Karine Espineira pour qui « la notion de rôle [est importante dans le sens où] la personne trans doit donner les gages du comportement du sexe revendiqué ainsi que du rôle social (sexe social d’arrivée), sans remettre en cause les rapports sociaux de sexe » . L’homme est un policier, un métier « d’homme » qui ne vient pas remettre en cause son genre, avec ce qui fait de lui un homme avec des attributs typiquement masculins, aussi bien physiques que comportementaux : on le montre très viril avec des plans rapprochés sur sa pilosité faciale, son uniforme, ses chaussures de sécurité, ses armes (01 :49) ; sa présence prédominante au sein de la famille – sa compagne est présente mais absente, ne parle pas, mise en arrière-plan, discrète –, son assurance, son autorité avec l’enfant – on montre une personne en mouvement, proche de son enfant, où on le voit jouer aux dinosaures, et avec des super-héros masculins. (05 :50)
Cette vision hétéronomée, banalisante par l’aspect très codé de la famille nucléaire est les prémisses de ce qui suivra dans la suite du documentaire. En effet, on nous présente des personnes transgenres rassurantes, qui suivent un certain schéma de la société, qui correspondent parfaitement à leur nouvelle identité de genre, et tente de montrer une nouvelle vision plus familière des personnes transgenre, comme Karine Espineira l’explique : « S'ajoutant aux nombreuses préoccupations des féminismes, des débats sur la parité, des rapports entre masculin et féminin, la transidentité vient focaliser une partie des discours et faire naître des recherches en sciences humaines et sociales. Les personnes trans ne sont plus considérées comme sujets singuliers, isolés dans un parcours médical et une errance juridique, mais appréhendées dans un parcours d'existence, une trajectoire sociale et culturelle ».
II. L’utilisation des stéréotypes de genre
« Si j’écoutais les personnes trans, le grand public était largué. Si j’écoutais le grand public, je trahissais les personnes trans. (…) Je n’avais aucune connaissance sur le sujet, mais ça m’intéressait beaucoup. C’était un défi personnel car Zone Interdite pose une contrainte, celle du grand public. » : le premier moyen de rassurer un public majoritairement cisgenre, comme l’a souligné Clarisse Verrier dans une interview, c’est s’accommoder avec le public, c’est-à-dire faire entendre ce qui est entendable ; rendre accessible, audible, et compréhensible un sujet dans le but de faire intéresser un public qui ne se sent pas concerné. Ainsi, le premier moyen de rassurer ce public est d’utiliser les stéréotypes de genre : montrer un homme vraiment homme, une femme vraiment femme. C’est par ce procédé que l’on montre toutes les personnes interviewées.
Globalement, les hommes transgenres sont très jeunes, asexualisés, et infantilisés, sinon très masculinisés. On parle peu de leur sexualité – contrairement aux femmes transgenre, de leur possible transition, des différents moyens de transitionner. La preuve est qu’aucune séquence dans le documentaire ne montre les deux personnes dans un univers médical. On préfère les montrer dans des univers plus ouverts, dans la rue seul, en train de faire du vélo, sortir du collège, dans un stade de foot, à la campagne, sur la plage. De plus, les hommes transgenre sont plutôt masculins et portent toutes les caractéristiques physiques masculines standard d’un homme : les cheveux court et des vêtements sobres jugés socialement masculins – jogging, jean large, veste de sport.
Contrairement aux hommes transgenre présents dans le documentaire, on aperçoit une légère différence d’appréciation pour les les femmes transgenre : celles-ci semblent plus visibles, plus de séquences leur sont consacrées, et nous entrons davantage dans leur vie quotidienne. Lors de leur passage, plusieurs thèmes sont abordés, comme la sexualité, leur changement d’état civil ou les opérations qu’elles s’apprêtent à faire, thèmes non abordés lors des témoignages d’hommes transgenre. Les femmes transgenre, comme les hommes transgenre dans le documentaire, possèdent toutes les caractéristiques physiques et traits de caractère associés à leur genre : en l’occurrence, les femmes sont très fémininées, très médicalisées – la seconde moitié du reportage se déroule presque exclusivement à l’intérieur de lieux médicaux, lors de rendez-vous avec des professionnels, dans la chambre avant l’opération, dans les couloirs d’un hopital. Ces nombreuses séquences, avec la présence des professionnels médicaux viennent légitimer tous les propos énoncés par les personnes transgenre, viennent renforcer un seul parcours médical idéal, et surtout corréler la transidentité à la médecine. Karine Espineira l’explique ainsi : « C’est toujours la même histoire qui est racontée : des personnes trans témoignent à différents moments de leur transition sous l’œil d’un psychiatre ou d’un juriste. Ce récit coconstruit par les médias, les personnes trans et les “experts”, est tellement hégémonique qu’il s’est institutionnalisé. À tel point que si vous n’invitez pas un “grand prêtre de la médecine” (dixit Maud-Yeuse Thomas) ou un expert juridique, ou les deux, le sujet ne parait pas légitime. Or, en faisant cela, les médias ne détachent pas le vécu des personnes trans du milieu juridique ou du milieu médical. Se posent deux problèmes majeurs : premièrement, c’est de l’infantilisation et deuxièmement, cela conforte le système médicolégal protocolaire actuel pour les personnes trans. »
De plus, une certaine vision de la femme est projetée, celle d’une femme superficielle, car, en effet, de nombreuses séquences montrent les femmes obsédées par leur apparence physique, et leur esthétique : on les voit en train de se faire épiler, faire du shopping, se coiffer, se recoiffer, se contempler dans les miroirs d’un magasin, se filmer et se prendre en photo, être chez le coiffeur, dans des lieux plutôt clos, plus certains, comme pour rappeler un sujet d’urbanisme genré, comme pour rappeler que la rue est avant tout un lieu d’hommes, pour et par les hommes. On y voit donc une vision hétéronormée et stéréotypée de deux genres, qui se veulent antonymiques, opposés à l’extrême, expliquée par Karine Espineira : « Notre hypothèse est que s’élabore au cours de ces années un ‘transsexualisme télévisuel’ qui contribue à maintenir un ordre des genres. Les mises en scène d’un donné à voir acceptable et consensuel résultent d’un modèle de représentation socioculturel hétérocentré dominant. »
III. Standardisation, simplification et déformation
Un autre moyen pour rassurer un public large, majoritairement cisgenre, est de rendre standard, clair, limpide, toute personne transgenre. Cela passe notamment par le casting de l’émission : toutes les personnes transgenre se ressemblent : elles sont toutes blanches, de nationalité française, valide, et avec des rapports hétéronormés, puisque les personnes présentées ont des relations sexuelles hétérosexuelles, avec une identité de genre bien définie. Elles n’ont, par conséquent, pas de double stigmate, ce qui pourrait compliquer la vision globale que souhaite donner l’émission des personnes transgenre mais également, d’après Karine Espineira, de « tester la résistance d’un grand public que l’on sait attentif aux découvertes et aux analyses » . Cette standardisation passe également par le parcours médical qu’elles suivent : ces personnes souhaitent toutes changer d’état civil, et souhaitent toutes prendre des hormones, avoir un parcours de transition dit classique. Ainsi, en standardisant de cette manière, de nombreux manquements se font : comme le titre du documentaire le suggère (« Fille ou garçon, le dilemme des transgenres »), peu de place est accordé à la non-binarité : ici, en l’occurrence, aucune personne non-binaire, agenre, bigenre, genderfluid, etc., n’est présentée, encore moins les personnes queers, les personnes qui revendiquent politiquement plus de droit et de visibilité des personnes transgenre. C’est un des points soulevés par l’un des youtubeurs, Adrián De La Vega, dans l’une de ses vidéos « ENCORE UN DOCUMENTAIRE SUR LES TRANS ?! (Trans et représentation médiatique) » qui remarque qu’aucune association, aucun militant ne figure dans le casting des interviewés, ce qui amoindrit pour lui la dimension politique du sujet, et rend incomplet les informations du documentaire. Plus que ça, Karine Espineira y voit un levier de contestation qui ne peut être mis en avant dans un documentaire à destination d’un large public : « Les individus peuvent déjouer l’idée d’une sexualité majoritaire dans l’espace public comme dans l’espace médiatique. La réappropriation de la sexualité est aussi tardive que la politisation qui va jouer et se jouer de la figure du paria dans l’histoire des groupes trans en France. En politisant leurs identités, les militant-e-s acceptent parfois explicitement de se considérer comme parias, hors-norme, queers ou freaks. En se nommant trans, ils retournent le stigmate et le dépassent comme nous y invite le terme transpédégouine. En se positionnant politiquement et théoriquement en minorité désormais politisée, les militant-e-s reconfigurent la figure du paria. Celle-ci est investie politiquement et théoriquement. Avoir adopté le point de vue paria nous a peut-être permis d’accéder aux ressources pour la lutte d’une égalité des droits. » Par conséquent, cela réduit les personnes transgenre à des personnes qui prennent des traitements hormonaux et des opérations chirurgicales (et notamment concernant les opérations concernant le sexe qui semble être une priorité dans le documentaire).
Tout comme le fait de ne pas évoquer la non-binarité, peu de termes propre à la transidentité est émis. C’est également le constat fait par un autre youtubeur transgenre, dans sa vidéo intitulée « REPONSE A M6 (Zone interdite : Être fille ou garçon le dilemme des transgenres) » faite par H Paradoxæ, qui n’a pas hésité à faire une liste de tout les termes non mentionnés, et pourtant importants. Pour lui, peu de termes sont utilisés, il remarque que le mot « cisgenre », « genre assigné à la naissance », « homme trans », « femme trans » « transphobie » ne sont jamais dits et pourtant expliqués, que d’autres expressions sont dites de manière maladroite comme « corps de fille », « changer de genre », « changer de sexe », « passer de fille à garçon » qui viennent simplifier, rendre accessible l’information pour un public cisgenre, mais qui ne reflète pas nécessairement la réalité, et viennent finalement la déformer. Cette simplification passe de multiples autres moyens, relevés personnellement, comme le fait de rendre transparent l’identité de la personne en montrant qui elle était avant, en dévoilant son ancien prénom (deadname), en montrant d’anciennes photos de la personne, la carte d’identité ou en l’appelant directement. (mettre minutage) Les autres moyens de simplifier la situation des personnes transgenre sont l’illsutration de facilité des parcours médicaux : durant le documentaire, plusieurs séquences montrent les personnes sur le point de se faire opérer, ou venir retirer leur nouvelle carte d’identité sans expliquer toutes les procédures encourues précédemment. Enfin, le dernier moyen est l’absence de mention d’une transphobie environnante et existante. C’est également un des points relevés par le youtubeur H Paradoxæ : pour lui, à travers ce documentaire, on souhaite montrer qu’il est normal pour ces personnes de subir toutes sortes de discriminations banales. Il s’explique par le fait qu’on ne reconnait pas la société comme transphobe, que cela est le cœur du problème, et toutes les complications subies (notamment pour prendre l’avion, ou que peu de structures sont adaptés pour les enfants transgenre) ne s’expliquent que par la complexité de la société, sans pour autant remettre en cause le système juridique, médical ou social. Pour lui, il y a occultation de la violence, qui n’est mentionné à aucun moment dans le documentaire, et qui est un des enjeux majeurs dans la société française.
IV. Émancipation par le numérique
Les nouvelles technologies semblent de plus en plus être source d’émancipation, de connaissance, et d’apprentissage. En effet, la plupart des personnes transgenre dans le documentaire utilisent les nouvelles technologies, que ce soit pour apprendre davantage sur le sujet de la transidentité, pour s’identifier à d’autres personnes transgenre, pour permettre de se révéler, de s’afficher, de s’assumer, ou encore pour entrer en contact avec d’autres personnes transgenre. Finalement, c’est une création de savoirs « savants », des savoirs par le bas, issus des personnes transgenre qui viennent s’opposer aux savoirs experts, comme le décrit Karine Espineira : « Il y a donc un savoir trans, par et pour les trans, un savoir situé dans l’expérience, un « savoir intime » pour reprendre l’expression de Hugh Raffles (2002), qui fournit des éléments de connaissance privés et publics. Ces nouveaux acteurs associatifs, ces nouveaux « experts associatifs » (Lochard & Simonet, 2009) sont aussi relayés par des experts plus isolés, issus des minorités incriminées, des « experts par appartenance » pour reprendre l’expression de Becker, qui viennent eux aussi expertiser leurs expériences. Aux États-Unis, la liste est longue de trans qui prennent la parole ou la plume pour dire, depuis leur expérience trans, leur vision de la transidentité, non seulement individuellement, émotionnellement, mais aussi collectivement, théoriquement et politiquement. » C’est le cas de Cédric, l’un des interviewés, qui témoigne de son identification par le numérique : « Y’a eu un déclic quand j’avais 16 ans, quand j’avais regardé la vidéo d’un youtubeur américain, et qui avait dit… Fin, au début, je savais pas que c’était une femme avant, et je me disais ‘Tiens, lui, il est pas mal, je voudrais bien lui ressembler’. Et puis, un jour, il a mis une vidéo en ligne « 1 an de tranformation avec la testostèrone » et là j’ai fait ‘Wouah, c’est un truc de dingue.’ » Dans le documentaire, la séquence qui suit est celle de la reocntre entre Cédric et Laura, deux personnes transgenre interviewés qui expliquent que cette recontre a été possible grâce aux réseaux sociaux, et notamment à travers les groupes Facebook, qui incluent seulement les personnes transgenre. A travers cet échange (30 :00), on peut observer que de nombreux conseils sont échangés, notamment sur les chirurgiens à consulter, sur comment l’apprendre à ses parents, et les transformations sur le corps suite à l’homonothérapie, et les différences de complications des chirurgies entre hommes transgenre et femmes transgenre.
Parmi les autres personnes dans le documentaire, les deux femmes transgenre, Laura et Iris, sont montrées connectées aux nouvelles technologies. Par exemple, Laura, qui est l’une des premières youtubeuses transgenres françaises, est montrée en train de réaliser ses vidéos lors de ses virées shopping à Londres (22 :48), ou chez elle devant son ordinateur portable où la journaliste explique que « Laura est youtubeuse, elle décrit toutes les étapes de son parcours à travers ses vidéos. On peut suivre son évolution physique depuis le début de sa transition. (…) Elle a déjà 5000 abonnés. Elle est aussi sur Snapchat, Instagram [et] a un groupe Facebook où elle partage son expérience. » (22 :25) Le montage inclut ainsi plusieur extraits de ses vidéos Youtube, et son évolution physique à travers de nombreux clichés. Iris suit un peu le même parcours : présente sur Instagram, le documentaire montre toutes les photos prises sur son compte, photos qui montrent son évolution au fil du temps. Aussi elle témoigne que les réseaux sociaux l’ont aidée personnellement en suivant des tutos maquillage sur Youtube, ou encore en s’inscrivant sur des sites de rencontre.
Conclusion
A travers ce documentaire, une certaine vision des personnes transgenre tend à être représentée. Plus sûres d’elles, plus sereine, plus « banales », les personnes transgenre sont montrées plus accessibles, plus « normales », plus présentes sur les réseaux sociaux et essaient de renouer avec un public qui ne se sent pas forcément concerné par la transidentité. En tentant de les rendre plus abordables, le documentaire a décidé volontairement d’omettre certains points qui semblent pourtant importants aux yeux des personnes transgenre (comme les possibles solutions avant d’entamer une transition par opérations chirurgicales, ou la transphobie), de rendre plus simple, plus linéaire leur parcours médical, homogénéiser les individus transgenre, et finalement de montrer la transidentité non pas comme une maladie, ou un trouble, mais comme quelque chose de non singulier, de plus abordable.
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