"Alice au pays des clichés" : mon premier manifeste féministe !
- Anthony Deléglise
- 14 juin 2017
- 5 min de lecture
Cette même année, en 2016, j'ai réalisé - non sans grande rigueur - mon premier manifeste féministe. Et oui, dans mon cursus, j'ai eu la chance de choisir en option "Études féministes", dirigé par Marie Hélène Sam Bourcier, à Lille . C'est à ce moment que je me suis découvert également féministe.
Je vous laisse découvrir mon premier essai, qui a franchement plu à mon professeur :
"7h : Le réveil sonne. Une nouvelle journée commence. Un nouveau parcours du combattant démarre.
7h30 : Tenue correcte exigée. Cette expression ne s’applique pas que pour les soirées pour nous, les femmes. Dans la vie de tous les jours, pour le travail, il faut être bien apprêté. Pas question de s’habiller à la cool pour le bureau. La jupe, le chemisier, une coiffure bien arrangée, un maquillage travaillé mais discret, et bien sûr des talons hauts obligatoires. Des talons hauts qui ne permettent même pas d’avancer plus vite sur l’échelle sociale, malgré la hauteur. A quoi bon faire tous ces efforts, ces obligations pour au final être moins bien payés que les hommes, avancer plus lentement en termes de carrière et en prime subir des réflexions en tout genre dans les transports en commun, dans la rue et au travail ?
8h : Petit déjeuner équilibré et complet : une tasse de café. Ça suffit largement. De toute façon, la femme est mieux perçue mince, voire maigre dans cette société machiste, où l’apparence est devenue primordiale. Puis, le stress m’empêche d’avaler quoique ce soit… par contre, cette minceur ne m’évitera pas des réflexions salaces de la part de mon patron.
8h30 : Métro bondé comme à son habitude. Oui je prends le métro, les conventions m’empêchent presque d’emprunter d’autres moyens de locomotion : c’est bien connu, les femmes ne savent pas conduire. Ma chevelure couleur miel doré n’arrange en aucun ma situation. En plus de ne pas savoir conduire, je suis conne.
Dans le métro, mon corps est collé à celui de mes voisins. Un homme profite de la situation pour se rapprocher, me toucher, me chuchoter à l’oreille. Je baisse les yeux et prie intérieurement pour que l’individu descende rapidement sachant qu’il sera remplacé par un autre. Personne ne voit rien, personne ne réagit ou plutôt tout le monde fait mine de ne rien voir pour ne pas réagir. Et je me persuade qu’il ne se passe rien puisque personne ne réagit, tout semble normal. Le calvaire des transports. Calvaire silencieux, invisible, transparent et pourtant à la vue de tous. Drôle de paradoxe pour un endroit rempli de foule.
9h15 : Arrivée au bureau. Encore 10h à supporter ces talons. Et les compliments des collègues masculins sur ma jupe, mon chemisier, mes jambes. Et pas sur la qualité de mon travail, mon efficacité, ma rapidité, mon engagement professionnel, ma gestion du travail ou ma résolution d’un dossier difficile. Rien concernant le travail, que sur l’enveloppe. A croire qu’il vaut mieux échouer dans le boulot plutôt que d’arriver au bureau en jogging basket, pas coiffée ni maquillé. C’est plus acceptable. L’inverse est impensable.
12h : Pause déjeuner. Je me rends à la cafét’ de l’entreprise. Je n’avais pas le temps de préparer quoique ce soit, et mon ex me répondait toujours « T’as qu’à faire à bouffer, et des gosses, plutôt que d’aller travailler. Les femmes sont bonnes qu’à ça ! » : J’en ai toujours pas.
Je finis ma maigre salade, que je déguste du bout de la fourchette, et repart, directement à mon bureau, vaquer à mes occupations, en évitant tout contact visuel avec la gente masculine.
15h : Je fais une pause, je sors prendre un verre d’eau. En chemin, je croise mon fameux patron. Aujourd’hui, je n’aurais pas droit à ces commentaires dégueulasses, juste un clin d’œil, un geste simple, mais aussi dévalorisant que la pire insulte de la part du pire connard.
J’aimerai aussi sortir fumer, mais au loin, je vois qu’un groupe de mecs en train de rire, dans un brouillard de fumée. A croire qu’il n’y a que les femmes qui sont studieuses, et qui ne se permettent pas de temps libre… Je comblerai mon envie de fumer plus tard.
19h : Fin du boulot. Je sors enfin ma cigarette. Retour par la case métro. Retour par la case réflexions, regards, allusions, attouchements, et harcèlement. Une fois rentrée à la maison, je retire mes talons, mon maquillage et mon sourire. Je pleure. Le masque tombe.
La boucle est bouclée. Aujourd’hui est la même journée qu’hier et la même que demain. Tout est normal. On s’adapte.
Non cette journée n’est pas normale.
Non une femme ne devrait pas être obligée de porter des talons hauts pour aller travailler.
Non une femme n’a pas à être payée 20 % de moins qu’un homme pour le même travail.
Non une femme n’est pas seulement mère au foyer.
Non une femme n’a pas à subir le harcèlement dans les transports.
Non une femme n’a pas a baissé les yeux de honte quand un homme lui balance une réflexion, une allusion, ou un regard malsain.
Non une femme n’a pas avoir peur de marcher seule dans la rue, en journée comme de nuit.
Non une femme n’a pas à presser le pas quand elle marche seule.
Non une femme n’est pas contrainte à parler exclusivement de maquillage, cuisine, ménage ou enfants.
Non une femme n’est pas destinée à faire seulement des sorties shopping, coiffeur, ou esthéticienne.
Non une femme n’est pas dans l’obligation d’avoir des enfants, et encore moins de se marier.
Non, une femme ne doit pas respecter les codes de cette société patriarcale.
Oui une femme peut aller travailler dans la tenue qu’elle souhaite.
Oui une femme doit être payée autant que les hommes pour le même travail.
Oui une femme doit pouvoir se sentir en sécurité dans les transports en commun.
Oui une femme peut se permettre de répondre à des commentaires désobligeants.
Oui une femme a le droit de sortir en mini jupe, short ou robe en tout sécurité.
Oui une femme peut s’habiller sexy, « ou être camionneuse » si elle le souhaite.
Oui une femme doit pouvoir se promener à 3h du mat’ seule dans la rue sans avoir peur.
Oui une femme a le droit de boire de la bière comme un trou, parler foot et bricolage.
Oui une femme peut choisir de ne pas avoir d’enfants, ni de bague au doigt.
Oui une femme a le droit d’écouter du rap, de conduire des grosses voitures, et des motos.
Oui une femme peut devenir pompier, gendarme, maçon, routier ou militaire.
Oui une femme a le droit de vivre comme un homme, dans les mêmes conditions sans se poser de questions.
C’est ce que nous revendiquons : une femme qui se rebelle, se fout des codes, et stéréotypes, et qui s’émancipe.
Comme Rosa Parks, première femme à avoir osé refuser sa place à un homme blanc.
Comme Louise Michel, femme leader de la première organisation féminine.
Comme Maud Wagner, première femme à devenir tatoueuse.
Comme Élisa Léonida Zamfirescu, première femme à devenir ingénieur.
Comme toutes ces femmes, et beaucoup d’autres, qui ont contribué au changement progressif de la place de la femme dans la société, nous devons suivre ce chemin vers l’égalité des sexes.
Alors mobilisez-vous, mobilisons-nous."
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